Grand reportage : Violences conjugales au Togo, parole aux victimes

On ne se marie pas pour être malheureux. Mais c’est le cas aujourd’hui dans plusieurs couples caractérisés par des violences de tout genre. Les femmes en sont souvent les premières victimes. Violences physiques, sexuelles, psychologiques ou morales, elles les subissent et la plupart contrainte à rester dans leurs foyers malgré elles. A cause des préjugés et de la pression familiale, plusieurs victimes se retrouvent dans l’incapacité de dénoncer les auteurs. Ce phénomène n’est pas nouveau et est observé dans presque toutes les communautés. Dans les villages d’Agové et de Vodoucopé à Afangnan (préfecture du Bas-Mono à une centaine de km de la ville de Lomé), nous avons rencontré certaines victimes des actes de violences conjugales qui ont bien voulu se confier à nous.

Afiyovi est mère célibataire de trois enfants depuis bientôt deux ans. Depuis sa séparation, la jeune maman de 29 ans gère toute seule, les 3 enfants issus de son mariage avec Kossivi, menuisier de 38 ans. « Mon 1er enfant Jacques a 9 ans. Il est en classe de CE1. Celui qui le suit s’appelle Mawussi, il va avoir 7 ans bientôt. La Benjamine (Mimi) que vous voyez vient d’avoir 4 ans il y a trois semaines. Je m’occupe d’eux sans soutien depuis ma séparation avec mon mari. Leur mangé, leur santé, leur étude, je m’en occupe seule grâce à mon commerce de légumes. J’ai aussi un champ. Un peu d’activité champêtre, un peu de commerce, on ne meurt pas de la faim ». Ce sont les premières paroles qu’elle nous a livrées quand nous l’avons rencontrée dans son champ un midi ensoleillé sous un arbre reposant.

La séparation d’Afiyovi et son mari est intervenue après une longue bagarre cette nuit du 2 octobre 2018. Selon les explications de la jeune maman, la scène se produisait pour la énième fois. « Ce jour-là, mon mari, alors ivre revenait de son habituelle balade nocturne aux environs de 23h. Déjà à 19h, j’avais apprêté son repas du soir. Comme je suis un peu fatiguée, je me suis vite précipitée au lit. D’abord il revient très ivre, il tient des propos incohérents avec des injures. Au moins il a pu consommer le repas que je lui avais réservé. Il est allé se doucher, je me souviens également, avant de venir au lit. (Essuyant les larmes qui lui descendaient à la barbe) Soudainement il me touche qu’il veut me faire l’amour. J’étais fatiguée à cause des travaux de la journée. Je lui ai dit que ça ne peut pas être possible la nuit-là. C’est le début de la querelle. Il a commencé par m’insulter que je suis prostituée, que je couche avec d’autres hommes. Il voulait me forcer, je n’ai pas accepté. Il m’a giflée, il me donnait des coups un peu partout. Je me défendais comme je pouvais. A un moment donné, je me suis retrouvée en sang par terre. Mon 1er garçon témoin de la scène a appelé à l’aide. Les gens étaient venus me secourir. La nuit-là, on m’a ramené au dispensaire. J’avais la joue déchirée et une de mes dents bougeait. J’ai dû suivre 4 jours de soins avant de me rétablir ». Désespérément, la jeune dame a essayé de cacher son émotion…

 Après les soins, Afiyovi a décidé de retourner dans la maison de son père où elle vit depuis lors. Elle a décidé de quitter son mari pour préserver sa vie. Car, pour elle, cette scène de violences se reproduit au moins deux fois le mois. La jeune maman se dit craindre pour sa vie en optant pour l’abandon du foyer. « Plusieurs fois sa famille m’a dit qu’il va changer. Je faisais des efforts mais si je continue, je vais mourir un jour et laisser mes trois enfants sans mère. Quand je suis restée dans la maison de mon père ici, sa famille est venue mainte fois mais je ne suis pas prête pour retourner avec leur fils. Si on a besoin de parler de nos enfants on peut se voir mais pour le reste (silence) je ne veux plus. J’ai encore la vie devant moi. Il a laissé les charges des enfants sur moi seule, mais j’essaye de le gérer tant bien que mal ».

La maison qu’habite désormais Afiyovi à Dafokopé se trouve à cinq km du domicile de son mari qui a accepté de nous recevoir. Dans sa culotte kaki et assisté par deux de ses frères, il nous a accueillis ce matin autour de 10h. Très serein, il nous exprime son regret avant de nous implorer si nous pouvons l’aider à reconquérir sa femme. « Je reconnais mon erreur et je jure que ça ne va plus se reproduire si ma femme me revient. Je sais que je l’ai blessée. Je peux vous dire aujourd’hui que je ne prends plus de l’alcool. Je veux seulement qu’elle revienne pour qu’ensemble nous éduquions nos enfants.  Les larmes aux yeux il continue « Je regrette ce qui s’est passé et je promets que si jamais elle revient ça ne se reproduira plus ». Mais au stade actuelle, Afiyovi demande du temps pour se décider si elle doit rejoindre son foyer ou fermer définitivement cette page sombre de son histoire.

 Des histoires comme celle d’Afiyovi et son mari, plusieurs couples en vivent au quotidien. Dans tous les cas, ce sont les femmes qui payent le plus fort prix. Parmi les victimes des violences conjugales, Peu ont le courage d’en parler ou de dénoncer les conjoints violents, de peur ou par honte d’être mal jugées. A quelque km du village d’Agové, nous sommes à Vodoukopé, toujours dans le bas Mono. Malgré que Judith ait été copieusement battue par son mari il y a six mois pour une simple rumeur d’infidélité, la jeune maman d’un enfant n’a pu porter l’affaire devant la police, ni chez le chef traditionnel. « J’avais des blessures partout. Au visage et sur mon corps. J’étais vraiment décidée à le convoquer chez les policiers mais ma mère a refusé. Ma mère m’a convaincue de ne rien faire de cela que ce n’était pas bon ni pour moi ni pour notre famille et pour mon enfant. J’ai écouté ses conseils et je n’ai pas porté plainte »

 De plus en plus, les victimes se confient aux centres d’écoute

 

Au Togo, les violences conjugales ont pris des proportions importantes ces dernières années. Au centre d’écoute du Groupe des Femmes pour la Démocratie et le Développement GF2D, 1 000 à 1 500 victimes sont accueillies chaque année. De plus en plus de langues se délient. Les victimes viennent spontanément se confier, mais rares sont celles qui vont au bout des poursuites pour violences conjugales.

Il n’existe pas un seul jour de la semaine, sans que des cas de violences conjugales n’arrivent au centre d’écoute du Groupe de réflexion et d’action Femme, Démocratie et Développement (GF2D). Thierry Mensah est juriste au centre d’écoute : « Il y a un couple qui se disputait un matin à propos de 300 francs, l’argent de la popote. Le mari n’avait que 300 francs dans la poche. La dame réclamait la somme pour pouvoir faire la bouillie aux enfants. Le monsieur refuse et finalement ils se sont bagarrés. Par la suite, la femme est décédée à l’hôpital », témoignage recueilli par RFI.

Pour Trois cents FCFA, Le mari de la défunte croupit actuellement en prison pour homicide involontaire. D’autres histoires comme celles des violences verbales jusqu’aux menaces de mort existent. Une victime raconte ce qu’elle a subi depuis l’annonce de sa grossesse, à son partenaire : « Il ne me frappait pas, mais tout ce qu’il me disait était de la violence. S’il ne menace pas de me tuer avec l’enfant, il me laissait avec des insultes et il ne me donnait pas à manger ».

 La conciliation avant la procédure judiciaire

Au centre d’écoute du GF2D, on encourage la conciliation. Lorsque les cas l’exigent et si la victime y consent, on introduit la procédure judiciaire. Mais toutes les victimes ne supportent pas les pressions familiales. Michelle Aguey, secrétaire général du GF2D : « Lorsque nous faisons face par exemple à la procédure judiciaire, vous avancez et à un moment donné, c’est la victime qui dit : ‘’non, je ne veux plus poursuivre, je veux qu’on arrête là ».

 L’application « AKOFA » pour encourager les femmes à dénoncer les violences et à aller à la fin des poursuites judiciaires

 Avec l’avènement de la pandémie au covd19, les centres d’écoute du GF2D connaissent moins de fréquentations. Le groupe met en place une application pour dénoncer les auteurs des violences basées sur le genre. Cette application dénommée « Akofa » a été officiellement lancée le mercredi 9 décembre 2020 à Lomé. La plateforme vise à lutter contre les violences faites aux femmes qu’elles soient sexuelles, physiques ou morales. Michèle Aguey, la secrétaire générale du GF2D « Au début de la crise sanitaire au Togo, nous avons constaté une forte réticence des personnes qui ont l’habitude de visiter les centres d’écoute pour solliciter une assistance à fréquenter lesdits centres. Or la crise sanitaire dans plusieurs pays a montré une recrudescence des violences basées sur le genre. Ce qui nous a amené à mettre en place cet outil pour nous permettre d’être disponibles 24H/24 avec les populations quelle que soit leur situation géographique, et surtout permettre aux personnes qui ont du mal à dénoncer les violences faites aux femmes, à le faire aisément ».

 De la nécessité que les auteurs des violences basées sur le genre répondent de leurs actes

 Les violences basées sur le genre, d’après les statistiques du ministère en charge de la promotion de la femme, sont de diverses formes. D’après les données du ministère, La courbe affiche depuis 2010, une forte augmentation des cas de violences conjugales. On relève 91%, pour les violences d’ordre psycho-morale, les violences économiques représentent quant à elles 34%, les violences physiques 41%, les violences sexuelles 33%, les violences institutionnalisées 20% et les mutilations génitales féminines 6,9%. Ces violences se rencontrent dans toutes les couches sociales quel que soit le niveau d’instruction, la culture ou la religion, aussi bien dans les lieux publics que privés. Selon le rapport de l’enquête démographique et de santé au Togo (EDST-III), les violences domestiques (coups et viols), sont un véritable problème dans les cinq régions du pays. Ces violences sont plus élevées dans la région des savanes, et concernent essentiellement les femmes de 15 à 49 ans. Sur la problématique, nous avons donné la parole à quelques acteurs qui ont fait des propositions pour venir à bout, ou du moins réduire le phénomène au Togo.

Amah AHYEE-GENU, juriste : « pour venir à bout des violences conjugales, les victimes doivent briser tous les tabous et pesanteurs socio-culturelles, en dénonçant les auteurs aux autorités. La violence pour la première fois peut être réglée en famille mais quand cela devient répétitif, il faut faire recours à l’autorité publique »

Dégnon KOVI, juriste : « Au Togo, il n’y n’a pas de législation spécifique pour la prévention et la répression des violences conjugales. Aussi, la police n’a-t-elle pas les moyens de faire face à des plaintes pour violence conjugales. Elle estime que cette une affaire à régler en famille. Sans avoir corrigé ces manquements, la lutte sera difficile »

Togbui Anani AYITE, chef traditionnel d’atchandomé : « c’est une question de responsabilité. Nous recevons des cas que nous traitons mais après quelques jours, la bagarre reprend. Je crois qu’il revient aux couples de se connaitre au mieux, avant de se marier. Puisque le mariage n’est pas une chose aisée, mais aujourd’hui les jeunes ne prennent plus le temps de se connaitre davantage avant d’aménager ensemble.  C’est l’une des causes des violences conjugales ajoutée parfois à la précarité »

Papa Soka, père de famille : « les enfants élevés dans une famille caractérisée par la violence, seront aussi violents quand ils seront grands et seront mariés. C’est une question d’éducation et de culture. Il doit y avoir à mon avis des dispositions légales tangibles qui punissent sans complaisance, les actes de violences conjugales. Aucun parent ne donne naissance à sa fille pour qu’elle se fasse taper plus tard par un garçon. Il faut que les filles apprennent aussi à bien connaitre les familles dans lesquelles elles vont se marier »

Au Togo, le gouvernement prend des dispositions pour combattre le mal. D’ailleurs, le pays se veut un exemple en matière de promotion du genre, marquée par la nomination des femmes à la tête de plusieurs institutions de la république. En plus des centres d’écoutes et les actions coordonnées des organisations de la société civile, une part belle est réservée à la problématique dans le nouveau code des personnes et de la famille. Les victimes des actes de violence sont alors encouragées à dénoncer les auteurs pour qu’ils répondent de leurs actes. Ne pas les dénoncer, revient à les cautionner. Selon Akakpovi DJAKPATA, sociologue de formation, il ne doit pas y avoir de complaisance quand il s’agit d’appliquer la loi pour punir les auteurs des violences faites aux femmes.  Les familles sont donc appelées à soutenir leurs enfants victimes de toute forme d’abus à porter plainte et à aller jusqu’au bout de la procédure judiciaire. Ce n’est qu’à ce prix que le Togo peut venir à bout des violences basées sur le genre, un phénomène qui gagne de plus en plus du terrain avec la jeune génération.

Et vous que pensez-vous que le Togo puisse faire pour résoudre le problème des violences conjugales ?

 

Ekoué SALLAH

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